vendredi 25 octobre 2013

L'homme à la pauvreté riche


Ce matin, la vie m'offrait l'un de ses paradoxes, l'un de ceux que j'aime tant. 

Il y a quelques jours, un organisme qui, habituellement, recrute des participants pour des réunions de consommateurs me proposait un entretien individuel d'une heure ce vendredi, autour des pratiques frauduleuses et du vol durant les périodes de crise. Un sujet léger et jovial, un gus payé pour écouter toutes les inepties que je peux débiter : pile-poil ce qu'il me fallait pour enjouer ma fin de semaine.

9 heures, ce matin, ma bite propre comme un sous neuf et ma gueule cassée bien tassée sous ma casquette irlandaise préférée, je prends l'ascenseur jusqu'au 4ème étage de l'immeuble dans lequel j'ai été convoqué et suis accueilli par une drôle de petite nana à lunettes et au visage gracieux. Elle m'invite à m'asseoir dans l'espace d'attente et s'affaire à éparpiller dans chaque pièce desservie par le long couloir qui nous abrite des canettes de soda, des petits fours et des.. ... des.. des Tucs et des Chipsters.. Ma nouvelle copine, bien qu'un peu tordue question gastronomie matinale, s'était apparemment mise en tête de rendre chacun de ces bureaux vitrés accueillant. Entre deux aller-retours, elle me propose un café que je décline poliment. Elle m'a presque ému, dans sa dévotion. Jamais je ne saurais être aussi disponible et envieux de faire plaisir aux autres avant au moins 14 heures du mat', moi.

Mon interlocuteur arrive enfin : 35-40 ans, une dégaine à cheval entre le VRP typique et l'analyste financier de haut-vol, la gueule sympathique aussi mais moins que celle de Copine-Café-Chipsters. Nous nous installons dans l'un des bureaux que cette dernière a réchauffé de douceurs et nous entamons la conversation. Très vite, il me demande de décrire un peu les circonstances dans lesquelles il m'arrive de voler et de tenter d'expliquer le cheminement que je suis.

« C'est très simple, lui dis-je : lorsque la fin de mois n'est plus jouable et qu'il ne me reste que quelques sous en poche, j'achète le vital et vole le nécessaire. Un déo bille, c'est 4,50 €, mais 4,50 € c'est surtout trois paquets de pâtes ou de riz. Je peux vivre sans déo, c'est sûr, ça n'a rien de déterminant pour ma survie jusqu'à ce qu'on prenne en considération l'importance que notre odeur peut prendre en société. [Demandez aux Roms s'ils ont la cote en ce moment.] Les pâtes n'entrent pas dans ma poche, le déo si, et j'ai besoin des deux donc j'optimise. »

De fil en aiguille, la discussion s'axe sur la nécessaire distinction à faire entre celui qui vole devant l'opportunité et celui qui le fait par nécessité, de tout ce que ça implique. Ce qui s'amorçait comme un simple témoignage prend des allures d'échanges sur des questions fondamentales. On en vient, ensemble, à évoquer la tradition du vol au delà de notre époque et j'avance qu'il est presque devenu salutaire aujourd'hui. Je n'ai jamais été très Créon dans l'âme et je sens bien que lui non-plus.

Une connivence s'installe et nous dérivons un peu, échangeons sur les différences entre les classes sociales desquelles nous sommes respectivement issus ; de ce qui pousse la mienne à voler par instinct de survie comme appât du gain et de ce m'empêche d'avoir un sourire franc au milieu la sienne. J'apprécie l'interlocuteur qui m'est offert et sa capacité de compréhension, il remplit sa tâche de médiateur brillamment et s'expose malgré tout, lui aussi, humanisant son rôle. Je crois lui avoir donné l'envie d'observer, désormais, les choses depuis un prisme différent du sien pour en affiner ses opinions.

Après deux-trois vannes, sur la possible explication freudienne de mon geste, lorsque je larcine sous les yeux de chefs de sécurité noirs, nous terminons gentiment l'entretien. En guise de clôture ce paradoxe, donc, qui nous fait sourire : il me remet un chèque de 30 €. Je relève et nous concluons sur cet échange :

« Elle est intéressante et pertinente, votre étude.
- C'est sûr, j'en ai connu des bien moins emballantes ! Là c'est vraiment autre chose.
- Ravi de constater que je ne suis pas le seul à m'en foutre, de la couleur de la prochaine Fiat Punto !
- Oui et, croyez-moi, il y a pire encore.
- Vous savez, le plus marrant dans cette affaire, c'est que vous me remettiez ce chèque pour ce que je viens de dire.
- Je crois que c'est ce qui me plaît le plus dans cette enquête, justement. »

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