dimanche 13 octobre 2013

L'homme à l'humeur vacillante






On devrait tous délaisser nos blogs quelques années pour voir où on en est.

Ça nous aiderait sûrement à constater combien nos convictions profondes et nos principes sont fluctuants. Nos humeurs aussi, belles comme des pétards mouillés, qui nous persuadent d'être intègres puis nous consternent, une fois refroidies, par leur légèreté.

En me relisant ici des années après je me sens idiot, mais ça aurait pu être pire :

Lorsque j'ai ouvert mon tout premier blog, j'avais l'impression de pénétrer dans un temple de conteurs. Ou plutôt de prendre place au milieu d'une agora sur laquelle des gens, hébétés par la vitesse à laquelle courait le quotidien, avaient décidé de s'arrêter pour en parler. Il y avait quelque chose de beau, lorsque je lisais la chronique d'untel ou untel sur tel ou tel instant de sa vie.
Avant cette période, on ne se penchait que sur les témoignages post-évènementiels des personnes qui s'étaient un jour vues gratifiées du titre de témoin clé sous prétexte d'avoir vu un avion s'écraser ou d'avoir été le voisin d'un horrible anthropophage.
C'était bandant, certes, mais pas trop. La découverte d'un bon blogueur occasionne une érection un poil moins vicieuse, qui dégorge mieux et plus lentement ta joie qu'un duplex télévisé sur une scène de crime.

Pardon de filer ma métaphore, mais j'ai la sensation que l'avènement du Hashtag et de l'atmosphère qu'il traîne avec lui est un peu la chaude-pisse à laquelle on ne s'attendait pas et que le blog nous a laissé en repartant. La dichotomie entre un blog blindé d'analyses sur la vie et un skyblog aurait pourtant pu nous mettre sur la voie.

Il y a quelque chose de réellement triste dans le fait qu'il faille aujourd'hui tenir un blog Mode ou Cuisine et l'associer ensuite à un compte Twitter, Facebook ou Youtube pour pouvoir "en être".
Je crois me souvenir à peu près de cet instant étrange où, porté par la popularité son blog, on commence à péter plus haut que son cul et croire qu'on peut prodiguer allégrement des conseils à la con à tout le monde. Dès lors, on calibre toujours un peu mieux ses lignes pour plaire et le temps se charge de rendre le tout ridicule.
Lorsqu'un blog que je tenais alors est devenu assez populaire pour que j'en tire des bénéfices sociaux, matériels et sexuels, un éclair de lucidité salvateur m'a botté le cul et poussé à y mettre fin. J'entrevoyais déjà le risque que l'on prend lorsqu'on commence à accorder trop d'importance une existence virtuelle dans sa vie réelle.

Ayant conservé des liens d'amitié avec quelques camarades illustres de la belle époque, j'ai pu les voir vivre ce que j'ai fui. Et.. Tout y est passé :
- Hipsters auto-proclamés journalistes musicaux, rampant derrière le slim-cuir de baby-rockers à 2 accords et convaincus de tenir un webzine incontournable depuis une vague obtention de pass au Rock en Seine ;
- Fashionistas tellement angoissées à l'idée de ne pas voir venir la prochaine mode et d'en parler les premières qu'elles en perdent de vue tout le reste jusqu'à éclater leurs vies de famille ;
- Blogueuses cul scandant "salope fière" et rêvant "princesse planquée", désespérées de ne pas parvenir à trouver LE père amoureux qu'il faut pour LE gosse qu'elles veulent avant d'être condamnées à adopter un petit noir du Darfour et croyant malgré tout encore à leur dissidence morale ;
- Geeks infâmes spécialistes des exclusivités sur les futures productions Disney/Lucas Films et des classements Topito, si essentiels à la vie, déversant des salaires entiers d'administrateurs réseaux dans des jouets pour gosse attardé ;
- Idéologues de seconde zone passant leur vie devant Youtube à relayer toute théorie conspirationniste qui leur passe sous le nez pour tromper leur désespoir, ramassant, lorsque la faim les prend, les éclats de chips dans les plissures de leurs T-shirts XXL Palestine/PussyRiot/anti-Illuminati/pro-Iphone;
etc.

Alors que je voyais jadis ces morts ivres, au demeurant attachants, comme les remparts contre les Nabilla de l'époque, je constate avec amertume qu'ils leur ont au contraire ouvert la voie pour les encenser. Et plus que quiconque autour de moi, ce sont eux qui, finalement, n'ont de cesse de polémiquer autour de sujets aussi cruciaux que le cas de la Princesse cosméto-téléphonique du bon goût susmentionnée.

Dépité, à la relecture de mes vieilles notes sur ce blog, par ma naïveté, je me suis senti pousser l'envie d'y écrire à nouveau, tenter d'exorciser le mal en vérifiant qu'on puisse toujours bloguer par plaisir.

2 commentaires:

  1. quel plaisir, vieux grigou, de retrouver ta mauvaise foi presque lucide !

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  2. J'ai toujours adoré la tendresse avec laquelle tu m'insultes. Ma mauvaise foi est intacte et ma lucidité toujours aussi cacophonique, sois-en assurée !

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